EN DEUX LANGUES (Français, Italien)
«Le surréalisme s’est formé sur une conception révolutionnaire de l’homme et du monde, à une époque où les visions traditionnelles de leurs rapports étaient enlisées dans la [Grande] guerre… En suivant des modalités propres, les surréalistes devinrent marxistes et freudiens, mettant l’accent sur la double révolution à accomplir : «transformer le monde» et «changer la vie». Ils pensaient pouvoir y parvenir au moyen d’une activité globale de créativité partant de l’individu, considéré à son tour comme une totalité, et en utilisant un instrument, la poésie, confondue avec l’activité spécifique de l’esprit. Cette permanence créatrice devait s’exercer dans la liberté inconditionnelle de la pensée et de l’action, hors d’une vision compartimentée de la vie et de l’art, et en vue de redonner à l’individu son intégralité».
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Skira, 2014 |
Ainsi s’exprime Maurice Nadeau dans l’ajout de 1957 à son œuvre classique de 1944 (Histoire du Surréalisme, Seuil, 1964, p.189 et 190), œuvre qu’on peut considérer pionnière et de grande longévité, surtout de la part d’un auteur qui est mort à 102 ans en 2013. Il m’apparut lucide et en pleine activité quand je le revis à l’époque de son centième anniversaire.
Cette synthèse est à la base d’une tradition de pensée dans laquelle nous pouvons rattacher les thèses de fond et quelques réflexions substantielles d’Arturo Schwarz exposées dans son récent et imposant travail sur Il surrealismo. Ieri e oggi [Le surréalisme. Hier et aujourd’hui] (sous-titre : Storia, filosofia, politica [Histoire, philosophie, politique], Skira, 2014, 540p - plus CD). La volonté analytique - et en même temps polémique envers d’habituelles et infondées généralisations - est formulée par Schwarz en introduction, quand il affirme que le surréalisme est avant tout un «état d’âme», une conception de la vie libérée de toute contrainte externe ou interne, un hymne à la liberté même : pure et changeante comme le flux d’un fleuve dans lequel ce qui a été ne sera plus, et dont le trajet parcouru ne pourra pas conditionner les futurs et imprévisibles virages et accélérations du courant. Ces concepts sont repris au début du 4º chapitre (p.99, et également p.107) où il affirme que «le surréalisme est une autre philosophie de l’existence, une manière de penser, d’agir et d’analyser - dans tous les sens - l’individu, l’histoire et l’art».
Mais comme pour les fleuves dont il est toujours difficile de retrouver la source, cachée parfois à l’intérieur d’une colline ou sous un enchevêtrement de roches, pour le surréalisme il est également difficile d’établir une date de naissance officielle, même si est grande l’opinion que sa vie débute entre 1914-1918 - particulièrement en 1916 - sous le tas de ruines provoqué durant la première grande boucherie mondiale. Cette incertitude donne naissance à la vieille diatribe (de l’œuf ou de la poule) pour savoir qui est né en premier, Dada (le Dadaïsme de Tristan Tzara) ou le Surréalisme (fondé par Breton).
Le terme, proposé par Apollinaire, ne sera utilisé dans le sens spécifiquement surréaliste - comme création artistique fondée sur l’automatisme psychique, le rêve, sur la dérive (ce que reprendra le milieu situationniste) - qu’à partir de 1920 avec la revue Littérature. Pourtant on pourrait difficilement imaginer deux courants de pensée esthétiques, artistiques ou philosophiques (ou les trois ensemble) plus imbriqués, plus génétiquement entrelacés. Ce sont au contraire leurs différents développements et destins ultérieurs qui peuvent expliquer les incertitudes théoriques par rapport à leur commune origine, et leurs incompréhensions en sens théorico-spirituel et non nécessairement pratico-éditorial. Entre diverses motivations possibles, ce fut sans doute le genre d’engagement politique dominant parmi le groupe autour de Breton qui marqua une des premières séparations entre les surréalistes et le mouvement fondé par Tzara.
Le puissant intérêt des surréalistes pour les évènements politiques contemporains est reconstruit avec précision par Schwarz, 1) à partir de positions idéologiques (distinction faite par Breton entre révolte et révolution, favorable à la seconde, même si par la suite c’est la première qui l’emporte dans la pratique surréaliste), 2) en passant par la confluence de groupes à tendance communiste déjà constitués (les revues Correspondance en Belgique et Clarté en France, le groupe Philosophies avec Georges Friedmann, Henri Lefebvre, etc.), 3) pour finir avec l’adhésion des surréalistes au Parti communiste français (en 1927 et pour une courte période).
Dans l’analyse historique l’évolution des rapports amour-haine-amour et puis définitivement haine avec les staliniens français obtient l’attention et la documentation que ces rapports méritent. Ainsi il devient de plus en plus difficile de cacher qu’il s’agit en fait d’un simple cordon ombilical, peu compatible avec les principes du surréalisme, et seulement en partie justifiable pour les premières années (quand la Révolution russe avait semblé ouvrir l’espoir de réaliser l’alors grande utopie communiste, et qu’elle avait même trompé sur place d’aussi lucides témoins que Victor Serge). Cette adhésion «contre-nature» était destinée à engendrer des fractures et des blessures internes au sein du mouvement surréaliste français et international. Cela fut surtout évident à partir du moment où des surréalistes se lient avec Trotsky en plein triomphe de la contre-révolution stalinienne. On ne peut pas oublier cependant qu’il y avait déjà eu Cronstadt en 1921, et que le livre du socialiste révolutionnaire exilé Sergueï Melgounov (Il terrore rosso in Russia. 1918-1923 [La terreur rouge en Russie. 1918-1923], Jaca Book, 2010) était déjà parue en anglais en 1925 et en français à Paris chez Payot en 1927.
Arturo Schwarz a fait partie du mouvement trotskiste dans sa jeunesse (en participant à la création d’une section de la Quatrième Internationale en Égypte) et durant quelques années importantes de sa vie, avant d’en sortir et d’assumer des positions par lui définies comme «anarchistes», mais en réalité plutôt marxistes-libertaires, et d’autres plus personnelles. Ce n’est donc pas étonnant qu’il reconstruise, et souvent avec passion, toute la richesse des débats, des batailles politiques, des réflexions dramatiques sur la dégénérescence de l’URSS, que le mouvement surréaliste et surtout Breton retiraient de l’enseignement et de l’exemple de Trotsky.
Il est bien que cela soit exposé avec précisions historiques et bonnes références théoriques, parce que souvent les reconstructions de la saga surréaliste tendent à survoler, à diminuer - cacher non car cela serait impossible - le lien profond qui unit Breton et ses plus proches collaborateurs aux péripéties du «Prophète désarmé» et surtout du «Prophète en exil» : le tout bien avant que Trotsky et Breton n’écrivent ensemble le célèbre Manifeste pour un art révolutionnaire et indépendant (Mexique, juillet 1938), que l’on peut considérer comme une vraie ligne de partage des eaux dans l’histoire de l’élaboration esthétique, de la créativité artistique et des réflexions qui les concernent. Et si on pense que ce cri libérateur fut lancé dans le moment le plus sombre de l’histoire du XXº siècle - une année avant le pacte Staline-Hitler qui entraîne la seconde grande boucherie mondiale, au moment où se mettent en place les plans de l’Holocauste antijuif, et quand le Goulag connaît sa plus forte expansion et que les tendances fascisantes se développent dans différentes parties de l’Europe avec parallèlement le renforcement du régime fasciste italien - on comprend la lucidité révolutionnaire et le courage éthique qu’il a fallu avoir pour parvenir à le lancer.
Ce rapport intense et constructif entre Breton et Trotsky - anneau fondamental pour la reconstruction de la chaîne politico-artistique du surréalisme et indispensable aussi pour expliquer de nombreux évènements conflictuels internes et externes au mouvement - n’a pas souvent reçu l’attention et la considération nécessaires, comme, par exemple, dans une autre monumentale histoire du surréalisme, pourtant essentielle quant à l’importance de la documentation, publiée en 2002 (Paola Dècina Lombardi, Surrealismo 1919-1969. Ribellione e immaginazione [Surréalisme 1919-1969. Rébellion et imagination], Editori Riuniti, 696p).
Pour la définition du rapport entre surréalistes et Trotsky et avec le «trotskisme» organisé (sans oublier le rôle tant contesté de Pierre Naville dans les deux mouvements, ni ses travaux sur l’argument, parmi lesquels j’espère publier en italien Le Temps du surréel, Galilée, 1977) le travail de Schwarz nous offre une précieuse reconstruction dans le 3º chapitre (p.39-72) ; mais la pénible absence d’index des noms (absolument injustifiée pour un ouvrage de ce type) empêche de la valoriser à sa juste valeur1. Cependant les lecteurs intéressés connaissent déjà sur ce plan le travail classique de Schwarz, édité plusieurs fois, l’édition la plus récente étant la mienne (Breton e Trotsky. Storia di un’amicizia [Breton et Trotsky. Histoire d’une amitié], Massari editore, 1997, 232p).
La partie du livre dédiée aux aspects politiques du surréalisme se poursuit par les interventions de Breton et de ses compagnons face aux évènements tchécoslovaques (à partir du putsch de Prague de février 1948), à la Pologne de Gomulka, à la collaboration entre le gaullisme et le franquisme et à la Révolution cubaine, saluée avec enthousiasme dans un texte de l’été 1964. Mais curieusement est éliminé le paragraphe consacré à l’Algérie qui est pourtant présent dans mon édition citée.
Fréquemment Schwarz rappelle que le surréalisme n’a jamais été un mouvement politique : une affirmation, comprise sur le plan organisationnel et dans un sens historique global (et non pour déterminées périodes), qui est certainement exacte.
De même est fondée l’affirmation que le surréalisme n’a jamais exclusivement été un courant artistique. Les exemples illustratifs cités par Schwarz (Max Ernst, André Masson, Man Ray, Joan Miró, Yves Tanguy - présents lors de la première exposition collective de 1925) le démontrent par leur propre originalité, par la diversité des moyens techniques utilisés (par exemple par quelques uns d’entre eux, mais pas tous, l’automatisme pictural et scriptural), par la variété des expressions esthétiques, l’acceptation ou le refus de l’art figuratif ou abstrait, etc. Par contre ce qui semble les unir, c’est le souffle idéal, une exigence d’authenticité vraiment… authentique - c’est-à-dire intégralement dénudée, même au risque de révéler (déverser ? répandre ?) à l’extérieur, sans inhibition, les contenus de leur propre inconscient. Ce dernier doit se comprendre, à son tour, comme la source de motivations réellement vécues, mais aussi comme un réservoir fantasmé (producteur d’images littéraires, poétiques, picturales, photographiques2).
L’inconscient, le rêve, l’état psychopathologique, le mystère, l’ésotérisme, tous sont des éléments intégrés dans une réflexion auto-analytique qui a mûri, surtout chez Breton, et que le surréalisme filtre et inclut dans son propre patrimoine créatif. De telles composantes ne peuvent pas être occultées lorsqu’il s’agit d’un usage raffiné de telles ou telles manifestations psychiques ou métapsychiques du moi le plus profond. On peut lire les ouvrages plus moins liés à ces thématiques que Schwarz a publiés depuis L'immaginazione alchemica [L’imagination alchimique] (La Salamandra, 1980).
C’est de là que proviennent les recherches expérimentales - ce qui à l’époque est un aspect typique du surréalisme, mais provenant du dadaïsme - qui touchent la parole écrite, la création poétique, l’improvisation gestuelle et théâtrale et le goût des scènes provocatrices. Ce sont quelques-uns, parmi tant d’autres, des éléments constitutifs de la démarche surréaliste, mais non constitutifs d’une école littéraire ou picturale déterminée. Cette caractéristique aussi particulière - l’expérimentalisme avec tout ce que cela implique - nous pouvons la placer au premier plan si nous voulons mettre en avant les traits les plus marquants et persistants du surréalisme, ceux qui ont survécu jusqu’à nos jours.
La seconde partie du livre traite de la survie et de la diffusion (y compris récente) du surréalisme à l’échelle internationale, en donnant la parole, pays par pays (de la Belgique à la Turquie, de l’Argentine au Japon, de la Chine à l’Égypte) à des chercheurs, des interprètes ou à des spécialistes de cette thématique. Il s’agit d’une anthologie fascinante qui mériterait d’être lue en utilisant en même temps le grand catalogue de l’exposition surréaliste de Milan (réalisé par Schwarz en 1989) qui contient un choix très riche d’illustrations colorées représentatives de l’activité artistique inspirée par le surréalisme à travers le monde.
Ce superbe panorama international fut présenté dans l’ouvrage de Schwarz par notre ami Michael Löwy. Y est soulignée l’actualité de l’activité surréaliste grâce à sa capacité d’innovation permanente et intransigeante, sa passion pour l’exploration de l’inconnu, son «hostilité irrémédiable à la pseudo-culture européenne contemporaine». L’imagination créatrice - que dans une autre partie du livre (p.108 et 116) Schwarz rattache directement à Charles Fourier auquel Breton dédia une Ode célèbre - est pour Löwy une démarche bien spécifique du surréalisme qui oriente sa recherche ininterrompue du chemin vers l’utopie3.
Au-delà des données historiques et documentaires fournies par les auteurs, l’enquête proposée par Schwarz s’oriente en 3 directions, certes interdépendantes, qu’il définit lui-même par leur caractère théorique, salvateur et éthique.
La première direction, théorique, qui part forcément du γνῶθι σεαυτόν (le «connais-toi toi-même» de grecque et latine mémoire), peut, avec l’accumulation des strates de conscience et de connaissance (de Soi) issue de la poésie, de l’art et de l’amour, conduire à la revendication de liberté intégrale. Liberté de création poétique et liberté de vie ne peuvent pas s’opposer mais se compénétrer.
«Pour satisfaire l’irrésistible pulsion vers la liberté il faut connaître, et pour connaître il faut aimer. La connaissance, la liberté et l’amour ne peuvent se concevoir qu’en se liant les uns aux autres. Chaque élément forme le côté d’un triangle, ce dernier ne pouvant exister sans les deux autres» (p.101).
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Arturo Schwarz |
La définition de la dimension salvatrice, seconde direction de l’art surréaliste, n’est pas très claire, et pas seulement à cause de Schwarz, mais aussi de Breton qui sur ce plan a fini par engendrer plus de complexité qu’il n’a pu en résoudre. Il suffit de rappeler que la réduction de l’intentionnalité auto-réalisatrice du surréalisme à un assez précis automatisme psychique risque de transformer ce dernier en une sorte de technique (comme il ressort des indications fournies par Breton) qui perd ainsi le contact avec la dimension globale libératrice. Cette dimension a été explicitée ci-dessus, à partir du texte de Schwarz, et en la considérant synthétiquement comme une impulsion intérieure liée à la sphère de l’amour, de la conscience de Soi et de la création artistique. Quand on affirme que l’écriture automatique parvient à «faire affleurer, dans sa nudité et vérité, ce que dicte l’inconscient» ; ou que l’automatisme psychique «est la voie royale pour connaître la partie immergée de la psyché» (p.102), produisant ainsi les matériaux bruts et subjectifs que le poète ou l’artiste transformeront en «universel», on ne saisit plus vraiment ce qu’a produit l’aspiration humaine à la liberté totale et absolue affirmée dans le programme initial du surréalisme.
En fait on ne peut pas oublier que depuis les origines du surréalisme jusqu’à l’éclatement de la guerre, dans les textes de Breton et de quelques autres de ses compagnons, cette aspiration était toujours plus ou moins liée au terme «révolutionnaire», dans le sens le plus global du terme, pas seulement politique (mais qu’il incluait aussi l’action politique comme facteur fondamental, même si pas forcément suffisant). Au contraire, peu à peu commence à prévaloir dans les textes de Breton la recherche d’une dimension essentiellement psychique, si non totalement métapsychique, alors que la volonté concrète et historiquement déterminée de la révolution mondiale (avec toutes ses dimensions artistique, sociale et «amoureuse») semble disparaître. Cette perspective cède le pas face à un retour de l’individualisme intérieur dont les vapeurs d’arcane et d’ésotérisme submergent l’idée originaire de libération collective universelle.
En restant dans le même registre, on ne comprend pas non plus quel résultat a obtenu l’instinct le plus naturel et immédiat de l’espèce humaine (tourné vers la recherche du bonheur mais à mon avis également de l’autoconservation de l’espèce) auquel la fascination pour l’utopie libertaire et socialiste puis également surréaliste, devait ouvrir de nouvelles voies d’accomplissement, de renforcement de la volonté de «changer le monde et la vie», et ainsi devait permettre de rejoindre «un état de bonheur pour la communauté humaine» (ibid.). Mais de «salvateur» en sens communautaire il reste bien peu, et donc ne se justifie pas l’utilisation d’une telle terminologie, si chargée de significations si on se réfère à la glorieuse tradition des études anthropologiques sur messianisme et millénarisme. Sinon faudrait-il utiliser le concept de salut en sens biblique ? Je ne pense pas que cela soit le cas pour Schwarz, comme cela ne l’était pas non plus pour Breton.
L’explication fournie dans le livre pour le recours au terme «salvateur» comme expression de créativité poétique surréaliste est très courte, peu claire et non convaincante et - je m’excuse de le redire - non identifiable au discours surréaliste «classique» basé sur le caractère libérateur du rapport art/révolution dans une visée de dépassement collectif de l’aliénation au système (capitaliste et bureaucratique-stalinien). Même si cela ne déplaît pas à Schwarz, une telle particularité n’a rien à voir non plus avec les fondements de l’anarchisme «classique», le plus authentique, celui qui va de Bakounine à Malatesta en passant par James Guillaume, Adhémar Schwitzguébel ou Pierre Kropotkine.
Pour finir, la direction éthique. Schwarz la considère comme partie intégrante du processus de connaissance et donc la relie à l’éthique du surréalisme dans une dimension cognitive, en recourant au principe de responsabilité, ce qui permet d’introduire le concept de «solidarité entre poésie et science». Il s’appuie sur le physicien Marcello Cini, mais il aurait pu aussi rappeler le père de cette vision jumelle des rapports éthique/science, impliquant en même temps recherche du bien et recherche de la connaissance, l’antique et célèbre philosophe athénien que ses concitoyens remercièrent avec la peine de mort. Il ne manque donc pas des références aux poèmes cosmogoniques présocratiques, à Lucrèce, à Ovide jusqu’aux philosophes de la nature de la Renaissance, à l’impératif kantien, et à quelques penseurs modernes (il y a bien sûr Martin Heidegger, mais je préfère faire croire que Schwarz ne l’a pas cité).
Cette dimension éthique ici très brièvement traitée et par la suite développée dans diverses parties de l’ouvrage est imprégnée de nombreuses autres références à la théorie et à la pratique surréaliste. Parfois cela correspond à l’engagement politique des surréalistes, parfois elle se présente comme un élément moteur de la création artistique, et surtout poétique. La considération selon laquelle c’est l’éthique qui constitue le substrat sur lequel on peut développer une expression authentique est très importante. Il faut toujours l’analyser en symbiose avec la connaissance de Soi. Schwarz réfute l’idée qu’elle puisse dépendre de motivations esthétiques et l’insère dans le besoin exprimé par le poète de se connaître et de connaître le monde afin de le transformer (en sens réellement révolutionnaire).
De nombreux autres thèmes mériteraient d’être valorisés. Parmi eux un qui me tient particulièrement à cœur : le rapport œdipien avec le situationnisme des origines vis-à-vis du père-maître surréaliste. Mais cela me porterait bien loin du cadre théorique tracé par Schwarz dans cette énième production. Je préfère plutôt conclure en rappelant la réponse qu’il fit à Antonella Barina dans une interview de 1997, apparue dans le supplément d’un célèbre journal, y compris avec des contenus photographiques («Una vita contro» [«Une vie contre»]) : Du surréalisme «me séduit cette philosophie de la vie qui réhabilite tout ce que la pensée commune méprise».
Et si, en dernière analyse, c’était justement cela la vraie clé explicative de la fascination exercée par le surréalisme encore aujourd’hui dans de nombreuses parties du monde ? C’est peut être cela la motivation plus ou moins consciente de ceux qui aussi dans le surréalisme cherchent quelque chose, et qui bien que non encore libérés, sont des aspirants à la liberté tout en vivant en pleine société du spectacle ?
décembre 2015
1 En réalité le problème est facile à résoudre parce que des 7 chapitres qui constituent son imposante introduction, trois (2, 3 et 6) sont déjà apparus dans le catalogue réalisé par Schwarz pour la grande exposition de Milan (I surrealisti [Les surréalistes], Mazzotta, 1989) et sont à l’identique présents dans le livre historique et photographique qu’il a publié dans ma maison d’édition en 1997 - L'avventura surrealista. Amore e rivoluzione, anche [L’aventure surréaliste. Amour et révolution, aussi]. Le troisième chapitre - p.39-97 - est celui auquel je fais référence. Et comme dans ma propre édition ne manque pas l’index des noms, le lecteur peut toujours s’y référer.
2 L’allusion à la photographie et à la pluralité des options technico-artistiques nous rappellent une des recherches les plus fines de Schwarz - à part ses deux textes sur Duchamp - comprise dans la monographie dédiée à Man Ray (Giunti, 1998, supplément au n.139 d’Art et Dossier). On y évoque aérographie, rayographie et readymade, débuts du bodyart, assemblages, collages, papier mâché, tableaux, etc. sans compter les autres possibles variations autour de la peinture, du dessin et de leur rapport à la photographie.
3 L’extrait était déjà apparu en italien dans le livre de M. Löwy La stella del mattino. Surrealismo e marxismo [L’Étoile du matin. Surréalisme et marxisme] (p.99-104), publié par Massari editore en 2001 à partir du français (Syllepse, 2000). Dans le livre de Schwarz a été oubliée mon édition et l’article de Löwy provient de l’édition brésilienne de 2002, et donc retraduite du portugais.
[traduction de l’italien par Michel Antony]