ÉEÉDITIONS SYLLEPSE (PARIS)
Les éditions Syllepse se sont associées pour la série sur l’agression de la Russie poutinienne contre l’Ukraine aux éditions Page 2 (Lausanne), M Éditeur (Montréal), Spartacus (Paris) et Massari Editore (Italie), aux revues New Politics (New York), Les Utopiques (Paris) et ContreTemps (Paris), aux sites À l’encontre (Lausanne) et Europe solidaire sans frontières, ainsi qu’aux blogs Entre les lignes entre les mots (Paris), Centre Tricontinental (Louvain-la-Neuve), Utopia Rossa/Red Utopia et au Réseau syndical international de solidarité et de luttes.
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Les paradoxes des gauches, la guerre en Ukraine et la solidarité
Pourquoi les mouvements se réclamant de la gauche, libertaire, radicale ou réformiste, de la justice sociale, de l’écologie, du féminisme, de la non-violence et autres, ignorent-ils autant leurs homologues en Ukraine et en Russie.
Les gauches, les écolos et autres mouvements supposés progressistes ne soutiennent généralement pas (ou peu) leurs homologues ukrainiens, russes et biélorusses…
En ce début d’année 2023, alors que nous approchons du premier anniversaire du déclenchement de la guerre d’agression que Poutine, diverses questions restent en suspens, concernant l’attitude des progressistes en France, en Europe, dans le monde vis-à-vis de cette guerre et des forces progressistes dans les pays concernés.
Ignorer la guerre ? Ignorer les militants locaux…
Une partie de la gauche sociale et écologiste en Europe et plus encore dans d’autres parties du monde, aux Amériques, en Asie, au Moyen- Orient, en Afrique, a plus ou moins adopté le « narratif » poutinien selon lequel l’Ukraine est considérée comme simple pion passif de l’Occident, lequel serait (puisque « potentiellement agresseur ») le responsable de cette guerre.
Des forces bien plus nombreuses encore se contentent de « garder leurs distances » par rapport à cette guerre, et, tout en condamnant l’agression poutinienne, restent plus ou moins passives en matière de lutte contre celle-ci, passives aussi en matière de solidarité avec les forces antiguerre en Russie et au Bélarus, et très largement indifférentes, voire hostiles, aux forces progressistes ukrainiennes.
Certains mouvements de la gauche et des écologistes, des militants syndicaux et associatifs, sont cependant très actifs, en Europe centrale et occidentale, soutenant la résistance armée et non armée du peuple ukrainien et concrètement solidaires avec les progressistes ukrainiens et les antiguerre russes ou biélorusses, c’est le cas, par exemple, du réseau international ENSU/RESU [1] et de sa branche française soutenue par divers mouvements associatifs, syndicaux, politiques, mais ces forces demeurent de facto minoritaires en Europe aussi bien du côté des gauches sociales-démocrates que de celles qui se veulent plus radicales, aussi bien chez les écologistes que dans les mouvements féministes ou dans la majorité des organisations syndicales. C’est encore, hélas plus vrai si l’on parle des mouvements non européens.
À propos des progressistes en Ukraine [2]
En Ukraine, les droites sont majoritaires Le Parlement élu en 2019 est très globalement « de droite », celui qui l’a précédé en 2014 l’était plus encore. Le parti Serviteur du peuple, très largement majoritaire au Parlement (mais seulement 43% des voix) est un parti libéral-démocrate sans ligne politique très précise, constitué après l’élection présidentielle de 2019, autour du président Zelensky (élu au deuxième tour avec 73% des voix sur un programme de paix et de lutte contre la corruption). L’opposition parlementaire, principalement les partis dits « orange », Patrie, de Ioulia Timochenko, et Solidarité européenne, de Petro Porochenko (16% des voix à eux deux), est clairement sur des positions à la fois ultra-néolibérales et nationalistes. Rappelons que l’extrême droite (2,15% des voix pour Svoboda en 2019) n’a depuis 2019 qu’un seul député. Aujourd’hui, iI n’y a pas de représentation de la gauche à la Verkhovna Rada (l’Assemblée nationale ukrainienne).
L’ancien parti « bleu » supposé pro-russe, le Parti de la vie, héritier du Parti des régions, avait obtenu en 2019 13 % des voix. Ce mouvement était globalement tout aussi néolibéral et clientéliste que les autres ; il est aujourd’hui dissous par les autorités ukrainiennes comme d’autres organisations considérées comme russes ou pro-russes. Mais la plupart de ses députés siègent toujours au Parlement (où ils ont constitué deux groupes distincts) et soutiennent la défense nationale contre l’agression russe, certains sont même engagés dans la défense territoriale, c’est aussi le cas de nombreux élus régionaux et locaux « bleus » de l’est du pays (par exemple, le maire de Kharkiv).
La fausse « gauche » populiste post-soviétique est marginalisée
Après l’indépendance de l’Ukraine en 1991 il existait un courant se disant « de gauche », principalement le Parti communiste d’Ukraine (KPU), qui regroupait le quart des voix aux législatives de 1998, mais qui s’est effondré électoralement après 2004 (tout de même encore 13,2% en 2012). Un électorat généralement âgé, essentiellement de l’est et du centre industriels du pays, souvent victimes de la période de « privatisation » (de pillage par les oligarques) des années 1990, volontiers nostalgique de l’Union soviétique. Un parti populiste, conservateur sur les questions de sociétés, opposé (en paroles) au néolibéralisme, rongé par la corruption comme les autres partis, et au sein duquel certains se réclamaient de Staline. Après Maïdan, l’invasion de la Crimée et le début de la guerre au Donbass, le parti n’a fait que 3,9% aux législatives, avant d’être privé, en 2015, du droit de participer aux élections par le gouvernement Porochenko, puis tout simplement interdit lors de l’agression russe de 2022 et la fuite de son dirigeant Petro Symonenko en Russie. D’autres partis ont suivi la même trajectoire dont le Parti socialiste et le Parti socialiste progressiste d’Ukraine, scission du précédent et dont la candidate avait obtenu 11% des voix à la présidentielle de 1999 (mais le parti n’avait fait que 4% aux législatives de 1998), populiste et nationaliste panslaviste pro-russe, progressivement marginalisé dans les années 2000. Lui aussi a été formellement interdit en 2022, de même que certaines organisations purement russes (comme l’organisation de jeunesse poutinienne fascisante Nachi), actives dans les territoires ukrainiens occupés après 2014.
Probablement une majorité d’Ukrainiens assimile la « gauche » avec ces partis plus ou moins post-soviétiques et plus ou moins pro-russes, et avec le « socialisme réel » de l’ancien régime soviétique. C’est en tout cas le discours des néolibéraux de la droite ukrainienne (en particulier du côté de Porochenko) et bien entendu, de l’extrême droite dont une des activités principales était avant 2022 d’attaquer verbalement et parfois physiquement les groupes progressistes dont nous allons parler maintenant.
Les mouvements progressistes en Ukraine aujourd’hui
Ils existent sous plusieurs formes, sans avoir toujours de liens entre eux.
Les syndicats
La FPU, Fédération des syndicats d’Ukraine, héritière de l’ancien syndicat unique de la période soviétique. Assez passive sur le plan revendicatif et souvent bureaucratique, elle reste la principale confédération. La KVPU, Confédération des syndicats libres d’Ukraine, est beaucoup plus militante, implantée en particulier dans de grandes entreprises (chemins de fer, transports urbains, métallurgie, mines, énergie, dont nucléaire…). Une partie des militants, et parfois des dirigeants, de certains de ses syndicats se réclament de l’anarchosyndicalisme. Il y a des militants progressistes dans les syndicats enseignants et un mouvement étudiant militant, Pryama Diya (Action directe). Il existe aussi deux petites confédérations de droite et d’extrême droite, très minoritaires. La loi martiale, du fait de la guerre, interdit manifestations et grèves. Les syndicalistes FPU, KVPU, étudiants acceptent globalement cette situation, et nombre d’entre eux sont au front, ce qui n’a pas empêché ces syndicats de mener certaines luttes par- fois victorieuses.
Les associations
Notamment celles de défense des droits. Compte tenu de la situation en Ukraine, des carences des pouvoirs publics, de la corruption, les pratiques d’auto-organisation se sont développées dans tout le pays, en particulier après 2014. Ainsi, par exemple, pour l’accueil et la défense des droits des populations déplacées par la guerre au Donbass, avec la création de l’association Vostok SOS. Le Centre des libertés civiques (co-prix Nobel de la paix 2022) est un autre exemple très connu.
Localement existent toujours, malgré la guerre, des associations et réseaux antiracistes, antifascistes, pour les droits LGBT+, pour les minorités nationales et des groupes féministes actifs, comme Bilkis, qui a créé son « espace anticapitaliste » à Lviv, ce qui exaspère l’extrême droite.
Dès 2014, et de manière plus généralisée, diverses formes d’auto-organisation solidaires locales sont apparues, un tissu associatif de résistance civile [3]. Et plus encore depuis la guerre actuelle. Des plateformes comme la Kherson Public Platform ou le Center for United Action, qui, avec ou sans le soutien des autorités locales selon les villes et régions, s’efforcent que l’aide humanitaire soit dirigée vers les besoins réels, les populations les plus en difficulté, et ne soit pas confisquée par les corrompus locaux ou gaspillée par le « charity-business » d’ONG ou des structures extérieures.
Les écologistes
Même si le Parti des Verts, créé en 1990, ne représente plus grand-chose (il faisait 5,43% des voix en 1998, 0,66% en 2019), il existe des mouvements locaux, certains regroupés notamment dans le réseau Ecoaction, avec notamment la coopérative Longo Maï active en Ukraine depuis plus de trente ans.
Des groupes et mouvements politiques se réclamant du socialisme
Les réseaux anarchistes ou anarcho-communistes comme l’Union autonome des travailleurs, le groupe de l’Ouest ukrainien Résistance autonome (Avtonomy Ovpir), venu du nationalisme (et qui en garde quelques ambiguïtés) et surtout le petit mais très actif Sotsialnyi Rukh, très lié à d’autres mouvements de la gauche éco-socialiste d’Europe centrale et d’ailleurs, et la revue Commons. Ces mouvements et leurs membres sont quasiment tous engagés, de diverses manières, dans la défense du pays face à l’agression poutinienne. Plusieurs militants sont morts au front, d’autres sont prisonniers, dont Maksym Buktevytch, figure de l’antiracisme, de l’antifascisme et des combats pour les droits humains, que les médias russes ont présenté comme « complice des nazis ».
Cette union pour défendre la patrie transforme la société ukrainienne, crée de nouveaux liens de solidarité, une volonté collective de résistance ce qui ne signifie pas que règne un consensus sur l’évolution de la société et la gestion de l’Ukraine future.
Une double menace
Celle des néolibéraux
Si les oligarques perdent de l’influence, si la corruption recule, certains profitent de la situation de guerre pour pousser leur agenda néolibéral. Ainsi que le remarque Philippe Askenazy dans Le Monde [4], la loi martiale a suspendu des pans entiers du droit du travail, suspension qui a vocation à durer après la guerre si l’on en croit les lois n°5388 et n°5371 votées par la Rada à la fin du printemps 2022, créant pour l’une des mécanismes de contrat « zéro heures » sur le modèle des lois scélérates britanniques (et inspirées d’ailleurs par les conseillers conservateurs anglais), et pour l’autre privant 70% des salariés d’Ukraine (ceux des entreprises de moins de 250 salariés) du bénéfice des accords collectifs. La KVPU et la FPU ont appelé au rejet de ces textes, la Confédération internationale et la Confédération européenne des syndicats se sont émues, quelques syndicats nationaux de plusieurs pays ont protesté, par exemple, en France, la CGT, Solidaires et la FSU, réactions qui ont provoqué une certaine hésitation de Volodymir Zelensky, puis constatant que ces protestations restaient limitées, de finalement les promulguer. Beaucoup d’organisations syndicales occidentales sont en effet restées passives, et plus encore la gauche politique européenne social-démocrate, écologiste ou supposée radicale, qui ont été, délibérément ou par distraction, aux abonnés absents, dans chacun des pays comme au Parlement européen, alors qu’une pression minimale aurait pu faire reculer les autorités ukrainiennes.
Résultats, ces textes sont adoptés, même si la question de leur prorogation après la guerre demeure… Hélas, ce n’est pas tout : l’offensive néolibérale bat toujours son plein, la loi qui, depuis l’indépendance, protégeait les terres ukrainiennes de l’appétit des multinationales, est en train d’être démantelée, et pour que l’Ukraine de demain soit « attractive », les autorités ne cachent pas leur volonté de détruire les « blocages », en poursuivant le démantèlement du Code du travail, détruisant les garanties collectives et le « pouvoir des syndicats », sans oublier de « privatiser » les propriétés de la FPU au nom de la « dé-communisation ». Ces orientations sont pleinement soutenues par le FMI (vis-à-vis duquel l’Ukraine est lourdement endettée), comme par les gouvernements occidentaux (dont celui de la France), comme on l’a vu lors de la Conférence internationale de Lugano sur « la reconstruction de l’Ukraine » au début de l’été 2022, et comme on le voit depuis… Et là encore, s’il y a bien quelques actions syndicales de soutien à la FPU et à la KVPU et des protestations de petits mouvements en Europe, les principaux partis de la gauche politique européenne, social-démocrate, écologiste ou supposée radicale ont été, délibérément ou par distraction, aux abonnés absents, dans chacun des pays comme au Parlement européen, laissant tomber les progressistes ukrainiens.
Et celle de la fièvre nationaliste
En guerre, le temps est au nationalisme. Nous sommes bien placés pour le savoir avec notre expérience historique en France. Avec la brutalité de l’agression poutinienne et de la politique menée dans les territoires nouvellement ou anciennement occupés, les sentiments antirusses dans la population ukrainienne augmentent. Dès 2014, on pouvait dire que Poutine, en récupérant la Crimée, avait perdu l’Ukraine, où pourtant jusque-là l’influence culturelle russe était forte (pas seulement dans l’Est russophone). Depuis 2022, cette influence s’est effondrée tandis que l’unité nationale des Ukrainiens se fait contre la Russie. Des monuments et symboles russes ou russo-soviétiques, perçus comme signe historique de domination et d’oppression coloniale, sont détruits ou déplacées (par exemple, des statues de Pouchkine, des noms de rues). C’est, hélas, une réalité classique face à une agression. La droite ukrainienne, une partie de la majorité et, bien sûr, l’extrême droite font dans la surenchère. Ces gens-là ont, par exemple, demandé à Oleksandra Matviitchouk, dirigeante du CLC de « renoncer » à son prix Nobel de la paix, au prétexte qu’il lui a été attribué conjointement avec l’ONG russe Memorial et au militant biélorusse Alès Bialiatski – heureusement celle-ci n’a pas cédé.
Des progressistes ukrainiens sont dénoncés pour s’être affichés avec des Russes antiguerre, une situation que l’on a connue dans d’autres conflits – heureusement de tels contacts existent, mais ne sont pas toujours publics.
Le projet de loi n 7633 prévoit l’interdiction d’utiliser, dans le cadre de programmes éducatifs, scientifiques et de recherche, des « sources d’information en russe et de citoyens de l’État agresseur », en contradiction avec la Constitution ukrainienne, et avec la Convention européenne des droits humains (à laquelle l’Ukraine est adhérente) et avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. De très nombreux universitaires et chercheurs ukrainiens, européens et autres ont protesté contre ce texte. Mais les principaux partis de la gauche politique européenne social-démocrate, écologiste ou supposée radicale ont été, délibérément ou par distraction, jusqu’à présent, aux abonnés absents, dans chacun des pays comme au Parlement européen.
Un soutien aux antiguerre russes en paroles ?
L’objet de ce texte n’est pas d’analyser les réactions de la société russe face à la guerre, et les diverses formes de dissociation, sinon de rejet, vis-à-vis de celle-ci. Disons simplement que l’opposition publique à la guerre se manifeste principalement du côté d’une opposition libérale-démocrate, aujourd’hui férocement réprimée, ainsi que dans des milieux intellectuels et des classes moyennes des grandes villes (principalement Saint-Pétersbourg et Moscou). Notons au passage qu’une autre partie de ces mêmes classes moyennes est nationaliste et farouchement pro-Poutine. Les mouvements de défense des droits humains, dont l’emblématique Memorial, mais il y en a d’autres, sont évidemment eux aussi réprimés mais soutenus au niveau international par les organisations de défense des droits humains comme la FIDH et d’autres.
On estime à un million de personnes les Russes qui ont quitté leur pays, ou s’en sont (à leurs yeux provisoirement) éloignés, partant notamment dans le Sud-Caucase, en Turquie, en Serbie, en Asie centrale. Sans doute principalement des gens des classes moyennes et d’une partie de l’élite intellectuelle et technique.
La Russie « périphérique » et populaire est largement coupée de ces milieux plus ou moins libéraux, et dans ces cités de banlieue, ces villes moyennes, la campagne, les attitudes vis-à-vis de la guerre semblent être, majoritairement, d’« évitement » du moins dans la mesure du possible car la pression des autorités se renforce.
Il a existé, il existe, diverses formes de « gauches » en Russie. Le post-soviétique Parti communiste de la Fédération de Russie, a surtout servi d’alibi à Poutine, une « opposition de Sa Majesté » national-populiste. Pourtant, en son sein, ou à partir de lui, se sont créés localement des noyaux progressistes – pas toujours très clairs sur la question du nationalisme et de l’impérialisme russe, comme le Levy Front (Front de gauche), créé en 2008, mais dont une partie des fondateurs se rallieront en 2014 et 2022 à Poutine. L’attitude à avoir face à la guerre a créé de nouveaux clivages, et les plus résolus des « antiguerre de gauche » cherchent à se regrouper en Russie et à l’étranger, par exemple, dans le Mouvement socialiste russe (RSD). Il existe aussi des réseaux plus ou moins actifs se réclamant de l’anarchisme, résolument antiguerre. Et surtout les syndicalistes de la KPR, la deuxième confédération syndicale du pays, aujourd’hui réprimée. Notons que la « grande » FNPR, la confédération post-soviétique, qui a plutôt la configuration d’un « syndicat vertical fasciste », est farouchement pro-guerre.
Contrairement à ce qui se passait il y a trente ans, les divers groupes de mères de soldats ne jouent pas (pas encore ?) un rôle important ; par contre, le réseau Résistance féministe antiguerre (FAS), essentiellement composé de jeunes, est sans doute le mouvement antiguerre le plus efficace du pays. Il joue aussi un rôle essentiel aujourd’hui en matière d’information sur ce qui se passe dans toute la Fédération de Russie, y compris à propos des résistances à la militarisation dans certaines républiques autonomes (Yakoutie, Bouriatie, Daghestan, Bashkiristan, etc.).
Au Bélarus, si l’on parle surtout de l’opposition libérale démocrate en exil, l’opposition à la guerre s’est manifestée d’abord par les actions du syndicat indépendant BKDP, soumis à une intense répression. C’est aussi le cas du Centre de défense des droits humains Viasna et de son animateur, Alès Bialiastky (co-prix Nobel de la paix).
Tout cela reste plus ou moins en dehors des radars des organisations homologues des pays européens, syndicalistes, gauches diverses, écologistes, libertaires, féministes, mouvement de paix et non-violents, ONG et associations, délibérément ou par distraction, jusqu’à présent, trop souvent aux abonnés absents, trop souvent sans aucune relation avec ceux qui devraient être leurs partenaires naturels, ukrainiens ou russes… Le soutien aux médias indépendants reste limité, les relais pour que les informations vers la Russie et le Bélarus, ou provenant de la Russie et du Bélarus, le sont tout autant, la lutte pour permettre aux opposants exilés de bénéficier de conditions de séjour prolongés, en France par exemple, insuffisante.
Il y a, nous l’avons vu, heureusement des exceptions, comme le RESU/ENSU déjà cité, comme la solidarité syndicale effective (par exemple, avec les convois organisés régulièrement par un réseau de petits syndicats dont en France l’Union syndicale Solidaires, ou les convois de l’intersyndicale française avec les principales confédérations). Et des absences préoccupantes, car si Jean-Luc Mélenchon et le groupe parlementaire LFI ont apporté leur soutien à certains militants de la gauche socialiste russe, LFI n’a toujours pas de relations avec la gauche ukrainienne… Car si le Parti vert européen, ou EELV en France, se sont positionnés fermement contre l’agression poutinienne et pour la défense de l’Ukraine, ils n’ont guère engagé d’actions de solidarité politique et concrète les concernant en propre par rapport aux mouvements ukrainiens. Les principales organisations libertaires en France ignorent toujours leurs camarades ukrainiens… Et l’on pourrait ainsi multiplier les exemples.
En attendant, dans les conditions différentes, bien entendu, de l’Ukraine agressée, d’une part, et des dictatures russes et biélorusses, d’autre part, les progressistes ont besoin de soutien politique et d’actions concrètes de la part de leurs pairs, maintenant !
[1] La plupart sont actives dans le Réseau européen de soutien à l’Ukraine (RESU/ENSU) (https://ukraine-solidarity.eu/).
[2] On trouvera une analyse détaillée du paysage politique ukrai- nien, notamment après 2014 dans les excellents articles de Daria Saburova. « Questions sur l’Ukraine, vie politique et sociale en Ukraine entre 2014 et 2022 », L’Anticapitaliste,n° 140 et 141, novembre et décembre 2022.
[3] « Non-violence, résistance passive et désobéissance civile ». Sur le rapport de l’Institut international pour l’action non-violente (Barcelone, https://novact.org/wp-content/uploads/2022/10/InformeCAST.png) dans Brigades éditoriales de solidarité, Solidarité avec l’Ukraine résistante, n°13 (https://www.syllepse.net/syllepse_images/articles/brigades-e–ditoriales-de-solidarite—13.pdf).
[4] https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/07/en-ukraine-la-loi-martiale-a-suspendu-des-pans-entiers-du-droit-du-travail-et-de-nouvelles-lois-ont-vocation-a-durer-au-dela-du-conflit_6153335_3232.html
Bernard Dréano
Membre des réseaux européens et français de solidarité avec l’Ukraine, président du Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale Cédétim et cofondateur de l’Assemblée européenne des citoyens AEC/HCA-France. Il est l’auteur de Jours gris et nuages d’acier, Paris, Syllepse, 2023.
20 janvier 2022
Texte paru dans Les Cahiers de l’antidote : Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 15)
Télécharger gratuitement le livre de 104 pages : Solidarité avec l’Ukraine résistante n°15
https://www.syllepse.net/syllepse_images/articles/solidarite—avec-lukraine-re–sistante-n-deg-15.pdf