par Jonathan Beecher
La perte de Gaston Bordet laisse un trou dans notre vie. Pour moi il était plus qu’un ami: il était mon frère. Ce fut notre enthousiasme partagé pour les idées du grand socialiste bisontin Charles Fourier qui nous a d’abord mis en contact. La chaleur de son accueil, et celui de sa femme Nicole, d’un étranger venant à étudier les socialistes franç-comtois, m’a profondément ému. J’admirais sa franchise, sa capacité d’empathie, et son énergie extraordinaire, et je serai toujours reconnaissant à Gaston du rôle crucial qu’il a joué dans la création de notre Association d’études fouriéristes (dont il fut le premier président). Son rôle fut aussi déterminant dans le lancement de l’excellent annuaire, Les Cahiers Charles Fourier (dont on va bientôt sortir le trente-cinquième numéro), et dans l’organisation en 1993 d’un mémorable colloque international sur Fourier et les utopistes franc-comtois, qui a rassemblé des chercheurs de vingt nations.
Des le début j’ai été impressionné par l’ampleur des connaissances —ou pour mieux dire des passions—de Gaston, et aussi par l’extraordinaire don didactique qui lui a permis d’expliquer des problèmes compliqués de façon claire et accessible, tant pour les étudiants que pour les chercheurs de tous les niveaux. C’est Lamennais et Proudhon qui l’ont tenu à cœur. Dans ses recherches, et dans sa vie de militant, Gaston a illustré l’importance de la grande tradition politique française du catholicisme socialiste qui va de Lamennais à Peguy au XIXe siècle et de Marc Sangnier aux prêtres ouvriers au XIXe. Et il a souligné l’influence de ce courant de pensée et d’action parmi les leaders syndicaux de chez Lip. Comme il a écrit dans Lip, vingt ans après: “Les Lip sont au terminus d’une formidable histoire,” une histoire culminante dans “la lente litanie d’un catholicisme populaire et évangélique dont ils sont la dernière invocation.”
Mais Gaston a aussi écrit et parlé avec éloquence de Courbet, de l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, du théologien l’abbé Bergier, de la Grande Mission de Besançon, du mouvement des universités populaires, et enfin et surtout de Victor Hugo. En abordant tous ces sujets, Gaston a pu démontrer une capacité étonnante à faire vivre le passé et à montrer la signification du passé dans le présent.
Finalement, je voudrais dire quelques mots plus personnels sur la générosité intellectuelle de Gaston. Dans mon propre travail de recherche sur l’histoire du socialisme français, Gaston a été un guide extraordinaire. Il m’a aidé à comprendre l’importance du milieu franc-comtois dans la genèse de la pensée de Proudhon, de Fourier, et de Considerant. Au-delà de cet apport, par son amitié et par son hospitalité , il m’a aidé à me sentir “chez moi” dans ce milieu. J’ai l’impression d’avoir été en dialogue avec Gaston depuis trente cinq ans, et je me souviendrais toujours de nos ballades dans les collines au-dessus d’Ornans, de nos discussions au sujet des ouvrages d’Henri Guillemin et de Mona Ozouf, et aussi des visites guidées que Gaston organisait parfois pour des groupes pendant nos colloques, et parfois uniquement pour moi, tant à Poligny, Arbois, Syam et Salins, qu’au Locle ou à la Chaux-de-Fonds.
Je regrette infiniment de ne pas être parmi vous aujourd’hui, et je voudrais exprimer ma reconnaissance sincère à mon ami Edward Castleton qui a eu la gentillesse de vous lire mes remarques.
Jonathan Beecher
[auteur de les grandes biographies de Fourier et de Considerant]
Merci, cher Jonathan, pour ton beau salut d’adieu a Gaston. Je rappelle bien l'admiration que Bordet nourissait pour ton oeuvre de recherce. Et nous deux - les «ètrangers» - avons eu la chance de connaitre, peut-être dans une mesure particulière, sa grande chaleur humaine et son sens de l’hospitalité.
Nous avons perdu une grande et riche personnalité. Pour moi inoubliable.
Le nouveau fourierisme il y doit beaucoup. Plus que beaucoup...
Il nous manquera.
Roberto Massari
L'ami Gaston vient de nous quitter. Je le connaissais depuis 1967, mai 68, les LIP, la Fac de lettres, le centenaire de la Commune, la CFDT autogestionnaire d'alors… Il a fait beaucoup pour notre Association d’études fourieristes. Pour sa période finale, je pense que Chantal est une de celles qui le connaissait le mieux. Que la terre lui soit légère ! Mes saluts les plus chaleureux à tous ses proches.
Michel Antony
Je suis triste... Que de souvenirs de repas partagés dans un esprit fourieriste. Nous nous souvenons de Gaston à la colonie de Condé, de Gaston venu déjeuner avec nous à Cleron en compagnie de Jonathan Beecher. C'est une époque qui se clôt, celle des penseurs et militants du socialisme. Paix à son âme, il rejoint son ami Charles Piaget. Je représenterai l'association à son enterrement le 22 août.
Chantal Guillaume
Le Collectif Maison Fourier (composé des Amis de Victor Considerant, de l’arETE, de l’Association d’Études Fouriéristes, du Centre d’Art Mobile, du Coin du Miroir, du Collectif Histoire des Chaprais, d’UAA-Utopies et Alternatives Aujourd’hui) tient à rendre hommage à l'ami Gaston récemment disparu.
Gaston BORDET (1933-2024) est dans notre région un intellectuel engagé bien connu. Né en Savoie, il a une jeunesse jurassienne et une vie adulte principalement bisontine. Professeur d’histoire dans le secondaire (Dole et Besançon), puis enseignant à la faculté des lettres de Besançon, il a formé, grâce à son énergie, son enthousiasme et sa force de conviction, un grand nombre de futurs historiens et/ou militants, et a contribué à renforcer nos convictions. Il a animé de multiples associations scientifiques, culturelles et militantes, et a été très actif dans le syndicalisme du SGEN et de la CFTC puis CFDT et dans les mouvements socialistes (PSA depuis 1958, puis PSU, PS, Génération Écologie, à nouveau PS) ce qui ne l’empêchait nullement de s’ouvrir de manière critique à d’autres courants, l’anarchisme et bien sûr le fouriérisme. Radical et parfois excessif en paroles et en pensée, il était cependant plutôt modéré dans ses engagements et sa philosophie profonde. Spécialiste du XIX°siècle, il était particulièrement intéressé par Victor HUGO, né fortuitement à Besançon, et par le catholicisme social, n'ayant jamais renié sa proximité chrétienne depuis le petit séminaire de son enfance et ses recherches historiques. C'était un bon connaisseur des socialismes premiers, notamment des bisontins PROUDHON et FOURIER, du salinois CONSIDERANT, de l'ornanais COURBET, du polinois GAGNEUR et de la famille GAUTHIER omniprésente dans les forges comtoises et reliée profondément au fouriérisme avec Clarisse VIGOUREUX-GAUTHIER (spécialiste de LAMENNAIS dans "Paroles de providence", auteur que Gaston a lui-même longuement étudié) morte au Texas à la suite de l'échec de la communauté de Reunion fondée par son gendre CONSIDERANT, et sa fille Julie devenue CONSIDERANT dont la tombe à la tulipe des Chaprais est très connue. Il a été également un spécialiste du mouvement ouvrier contemporain, par ses études mais surtout par ses engagements, sa présence à la Yema, à la Rhodia ou à LIP dans les années "chaudes" 1960-1970 qui l'ont fortement marqué. Membre de la Société Proudhon, il a surtout été en ce qui nous concerne un des fondateurs et des animateurs de l’AEF – Association d’Études Fouriéristes, et il est fut très proche des responsables locaux comme Chantal GUILLAUME ou des "internationaux" comme l'étatsunien Jonathan BEECHER et l'italien Roberto MASSARI pour n'en citer que quelques uns. Ses multiples activités associatives, syndicales et politiques, ainsi que son refus du carriérisme, ont limité sa carrière et les diverses publications qu’il projetait, mais sa riche présence a marqué sa ville d'adoption, toute notre Comté et bien au-delà et a su créer de nombreux et importants débats, parfois contradictoires.
Bien des membres de notre regroupement associatif en ont été très proches, à diverses périodes, et toutes et tous tiennent à adresser leur plus chaleureux soutien à tous ses parents et amis. Gaston, que la terre te soit légère.
Pour le collectif: Michel Antony,
Besançon le 20/08/2024