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venerdì 22 giugno 2018

« LA PRATICA DELL’AUTOGESTIONE », GUIDO CANDELA & ANTONIO SENTA, par Michel Antony

Elèuthera, 2017
Cet ouvrage de deux chercheurs italiens, l’économiste Guido CANDELA (né en 1943) et le sociologue et historien Antonio SENTA (né en 1980), est publié dans la prestigieuse maison libertaire milanaise Elèuthera (terme qui vient du grec et qui signifie « libre »). Milan est un foyer très actif de l’anarchisme et du néo-anarchisme contemporain depuis les années 1960 : s’y sont développées des expériences de « radios libres », de revues (Interrogations, Libertaria, A-Rivista Anarchica depuis 1971…), de maisons d’édition (Antistato et Elèuthera, coopérative depuis 1986…), des groupes militants politiques et culturels comme celui du Ponte della Ghisolfa ou ceux de la FAI et du vieil organe Umanità Nova, des centres comme le CSL Pinelli (du nom de Giuseppe Pinelli, mort lors d’un dur interrogatoire de police) et son très précieux Bollettino, des squats et autres centres sociaux et culturels… Dès le début, ces groupes, centres ou associations se posent le problème de la communication, propagandiste certes, mais ouverte et plurielle, sans dogmatisme anarchiste, d’où une vraie et imposante floraison. Des centaines de titres d’ouvrages et des milliers de revues permettent une belle diffusion des pensées antiautoritaires et acrates, mais pas forcément uniquement anarchistes ou anarchisantes, loin de là. Un des principaux animateurs de la mouvance milanaise, Amedeo BERTOLO (1941-2016), vient de disparaître. Une publication récente d’une partie de ses textes sort aux éditions ACL de Lyon.

L’ouvrage est intéressant sur plusieurs plans car il quitte souvent les sentiers battus par les autres livres portant sur l’autogestion :

1- C’est d’abord l’occasion de faire le point sur les anarchistes et l’autogestion et rendre un bel hommage aux mouvements anarchistes dans la proposition, la diffusion et les expérimentations diversifiées de ce concept ; s’ils n’en sont pas les seuls inventeurs, ils en sont assurément parmi les plus anciens et surtout parmi les plus fidèles promoteurs. Le livre rappelle ce qu’est l’autogestion (ou l’autogouvernement, l’autoadministration…) pour les anarchismes, une sorte de synonyme d’anarchie ou une pratique approchant l’anarchisme et permettant de l’expérimenter. Pour les anarchistes, l’autogestion ne peut-être que globale ou généralisée, hors et contre l’État (au sens de structure autoritaire et dominatrice), et toucher tous les aspects de la vie : culturels, économiques, politiques, administratifs… En ce sens général de l’autogestion, l’anarchisme (et peut-être aussi dans une moindre mesure, le conseillisme) est la mouvance la plus en symbiose avec ce qui est tout à la fois un moyen de lutte, une forme communautaire expérimentale, une pratique sociale autonome et un projet utopique acrate.

2- Cette vision intégrale n’empêche pas de se poser la question centrale du type d’économie – forcément collective (la rationalité du nous l’emportant sur la rationalité du moi, formule qui revient souvent dans l’ouvrage) et sociale – à mettre en jeu. Là, le livre innove en présentant les similitudes ou les convergences avec des modèles proches de la société anarchiste ou autogestionnaire rêvée qu’on peut résumer ainsi : libre fédération de communes ou d’entités libres, et toutes autogérées, reposant sur l’adhésion volontaire de leurs membres. Sont ainsi envisagées l’Économie des biens communs (et celle des Communs), l’Économie des biens et services publics, l’Économie civile, l’Économie du partage (supérieure à l’Économie du don dans le sens maussien – Marcel MAUSS 1872-1950 – parce qu’elle insiste sur la réciprocité obligée), l’Économie de la décroissance, l’Économie du socialisme revisité… et à chaque fois, et c’est nouveau pour un livre libertaire, avec le souci de se poser la question de « l’efficience » des choix opérés, donc en utilisant un de ces concepts qui sont massivement choisis par les technocraties et autocraties pour justifier les sociétés inégalitaires et autoritaires qu’ils servent, et qui gonflent les novlangues si omniprésentes de nos jours.

3- Si le collectif l’emporte, si l’altruisme est supérieur à l’égoïsme, si l’empathie empêche l’isolement, nous ne sommes pas cependant devant un rejet pur et simple du stirnérisme, puisque Max STIRNER lui-même reconnaissait – ce qui est méconnu par les contempteurs de l’individualisme anarchiste – dans L’Unique et sa propriété (1844) que les égoïstes pouvaient se réunir ponctuellement en association de pairs pour s’autogouverner.
Cet altruisme indispensable pour les auteurs du livre revivifie les vieilles pensées mutualistes. Pourtant l’anglais William GODWIN (premier grand théoricien de l’anarchisme, compagnon de la féministe Mary WOLLSTONECRAFT et père de Mary SHELLEY), le français Pierre-Joseph PROUDHON et les étasuniens Josiah WARREN et William Batchelder GREENE ne sont pourtant que peu ou pas cités. L’autre source ancienne se rattache à l’idée communautaire de l’appui mutuel, à l’entraide ou solidarité, toutes formulations chères au russe Pierre KROPOTKINE et à l’allemand Gustav LANDAUER, dont l’héritage a largement été assumé par Martin BUBER. Le syndicalisme révolutionnaire ou d’action directe et sa partie anarcho-syndicaliste me semblent cependant très peu développée par rapport à leur importance historique et à leurs diverses formulations autogestionnaires, même si le plus intéressant et le plus étendu mouvement autogestionnaire par en bas – l’Espagne de 1936 – et le poids novateur de la CNT d’alors (le communisme libertaire adopté à son Congrès de Saragosse de mai 1936 est sans doute une des formulations les plus complètes de l’autogestion) sont un peu évoqués.
Cet essai redonne sens aux concepts incontournables pour la mise en application de l’utopie anarchiste que sont la proximité et un localisme qui n’est pas un cloisonnement, la réciprocité et le partage. L’homo reciprocans (belle formule) souhaité l’emporte sur l’homo oeconomicus actuel et gangrené par l’individualisme de nos économies marchandes.

4- La validité de l’autogestion se fonde donc sur une victoire a posteriori de KROPOTKINE (entraide et coopération) sur le néodarwinisme social (lutte pour la vie et triomphe des meilleurs ou des plus aptes). La démonstration en est faite par l’analyse d’essais historiques (coopératives, communes, milieux libres, aires autogouvernées du Chiapas maya et du Rojava kurde) et surtout, chose rare également, par le recours aux théories et essais de l’Économie expérimentale et des jeux de rôle ou de fonction qu’elle utilise sur des échantillons assez représentatifs. La démonstration est ici patente : si l’égoïsme, l’autoritarisme, la hiérarchie et le conflit sont bien présents dans l’humain et les sociétés actuelles… la solidarité, la coopération et la bienveillance le sont tout autant. De plus ces positions sont rarement figées ou absolues, et souvent adaptées au contexte, et donc conditionnelles.
Bref rien n’est figé ni acquis une fois pour toute, mais la pertinence évidente des pratiques de l’autogestion et/ou de l’anarchie (dans ce livre observées froidement, scientifiquement) devrait inciter à tenter plus d’expérimentations, dans le respect du pluralisme et de la dignité de ses composantes, avec modestie, c’est-à-dire en acceptant les évolutions et les remises en cause par les principaux intéressés.
L’analyse scientifique renforce ici ce que la très riche école anarchiste italienne exprimait dès la première moitié du XXº siècle avec Errico MALATESTA, Luigi FABBRI et le philosophe Camillo BERNERI : le droit à l’expérimentation libre et variée, sans dogmatisme, avec une tolérance qu’on a bien oubliée depuis dans la vie théorique et militante. Il s’agit donc, dans la cohérence entre moyens et fins, de proposer une société alternative libertaire et autogérée avec des méthodes et des pratiques qui le sont également.

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